samedi 23 mars 2013

Petit Lexique des termes moins usuels


Antepiphore :



Vers répété au début et à la fin d’une strophe. Exemple dans L’irréparable de Baudelaire :



Pouvons-nous étouffer le vieux, le long Remords,

Qui vit, s'agite et se tortille,

Et se nourrit de nous comme le ver des morts,

Comme du chêne la chenille ?

Pouvons-nous étouffer l'implacable Remords ?



Antonomase :


Un Hercule végétal (nom propre pour nom commun) ou le fils de l’Amazone (nom commun pour nom propre).
 

Chiasme (du grec khiasma, croisement) :


Vers composé sous la forme X-Y || Y-X

Nous avons vu un chiasme phonétique :

Secouant dans mes yeux leurs feux diamantés


Mieux un chiasme sémantique :

Ô fangeuse grandeur ! sublime ignominie !


(EU-EU || I I I I) et chiasme rythmique. Ce même vers se décompose en syllabes : 4+2 || 2+4.

Si on y ajoute l’antithèse et la double oxymore, c’est techniquement génial pour un dernier vers isolé.
La peur ou le courage || de vivre et de mourir

La Victoire de Guernica, Paul Eluard
qui se lit de quatre façons (La peur de vivre et le courage de mourir, La peur de mourir et le courage de vivre, La peur et le courage de vivre, La peur et le courage de mourir).

Iambe :


Initialement pied composé de deux syllabes, une brève et une longue. L'iambe, composé d'une brève et d'une longue, le trochée, composé d'une longue et d'une brève, sont le rythme des pieds humains foulant le sol (COMBARIEU, Mus., 1910, p. 145).

Pièce composée d'une brève et d'une longue accentuée ou sert à désigner un genre de poème de longueur indéterminée, construit en vers alternés de douze et huit syllabes à rimes croisées.

Ainsi L’amour et le crâne de Baudelaire :
L'Amour est assis sur le crâne
De l'Humanité,
Et sur ce trône le profane,
Au rire effronté,

Kyrielle :


Répétition d’un même vers à la fin d’un poème.
Margaretha, ma bien-aimée, ainsi pour moi,
Qui crois qu'ici-bas tout finit au cimetière,
Un vieux crâne est le peu qui reste encor de toi !
Et, n'est-ce pas le sort de la nature entière ?
Les Hugo, les Césars, - un peu de cendre au vent ;
Soleils dont la voûte est semée,
Mondes, tout doit un jour s'abîmer au néant,
Margaretha, ma bien-aimée !
Excuse macabre, Jules Laforgue

Palindrome :


Vers qui se lit dans les deux sens.
Roma tibi subito motibus ibit amor.

Périphrase :


Consiste à désigner une chose sans la nommer vraiment. Par exemple : « une naine amphibie » pour désigner une grenouille.

vendredi 22 mars 2013

Petit Lexique des Termes les plus courants


Antithèse :



Deux parties de vers qui s’opposent apparemment (dans le dernier vers de Tu mettrais l'univers entier dans ta ruelle de Baudelaire) :



Ô fangeuse grandeur ! sublime ignominie !


La technique est ici enrichie par l’opposition de 2 oxymores (association de termes de sens opposés), ce qui est en fait un oxymore au carré. (Oxymore = cette obscure clarté (Corneille, Le Cid), ou tout nom commun associé à un adjectif de sens opposé, comme un silence parlant).

Assonance :


Tout m’afflige et me nuit et conspire à me nuire

Phèdre, Jean Racine

Assonance en I, (ici toutes les 3 syllabes).
Ou encore en OB et BO :

Tout mon être obéit à ce vivant flambeau

Le flambeau vivant, Baudelaire

Toujours dans le même poème (AN-EU, EU-AN) :

Secouant dans mes yeux leurs feux diamantés

Césure :


Endroit du vers qui marque une légère pause et accentue ainsi ce qui est dit.

Ont omis de clore, || les yeux qu’ils ont eu peur

Contre-rejet :


Dans Le flacon de Baudelaire (eh, oui : encore !)
Cher poison préparé par les anges ! Liqueur
Qui me ronge, ô la vie et la mort de mon cœur !

Le contre-rejet est donc le mort (ou la partie du mot) qui débute la phrase au vers précédent. C’est l’inverse du Rejet (voir plus bas).

Contre-rime :

Heureuse la beauté que le poète adore !
Heureux le nom qu'il a chanté !
Toi, qu'en secret son culte honore,
Tu peux, tu peux mourir ! dans la postérité

A Elvire, Alphonse de Lamartine

Se dit d’une alternance de vers (A B A B), avec ici 12 syllabes aux premier et dernier vers, et 8 pour les deux du milieu. Le plus souvent, on trouve 8 et 6 syllabes.

Distique :


Poème formé de groupements de deux vers rimant entre eux et indépendants.
Le meilleur exemple en est Colloque sentimental de Paul Verlaine :
Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux formes ont tout à l'heure passé.

Epigramme :


Pièce courte d’une seule strophe de 10 à 12 vers (le plus souvent satirique).

Epître :


C’est le contraire. Un poème plutôt long, (lettre à...). Voire même trop long, selon les goûts de chacun.

Haïku :


Poème formé de 17 syllabes et de 3 vers (5 – 7 – 5). Cette forme de poésie japonaise a (bien sûr) été importée vers la fin du XIXème siècle.
Sous le bleu du ciel
L'absence chère a pesé
De son poids d'acier.
Silvaine ARABO

Hémistiche :


Moitié de vers, le point de partage des hémistiches étant la césure.

Léonins :


Vers dont la fin des deux hémistiches riment ensemble.

La sublime inconnue || s’avança toute nue


Léonine :


Rime portant sur au moins les deux dernières syllabes d’un vers (rime riche).

Rejet :


Mot (ou plusieurs mots) concluant la phrase ou partie de phrase commencée au vers précédent.
Petit poucet rêveur, j’égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était la Grande Ourse.
Ma Bohême, Arthur Rimbaud

De la musique avant toute chose


C'est ce que conseille Verlaine dans L'art Poétique. Il préconise l'impair et se refuse à placer la rime finale au-dessus de la musique des alitérations.
Nous semblons loin de L'art poétique de Boileau, en alexandrins, avec hémistiches de six pieds.
Mais, il n'y a pas de solution miracle, pas de recette éprouvée. Il faut du vocabulaire et savoir jouer avec les mots. Il y a peu entre le poète et l'humoriste comme Raymond Devos.
Jongler avec le verbe haut, faire vibrer l'émotion, peindre des images grâce à des oxymores (sombre clarté) : tout est prétexte à toucher l'hypocrite lecteur, - mon semblable, - mon frère., comme le clame Charles Baudelaire dans son poème d'introduction des Fleurs du Mal.

Charles Baudelaire © Mapomme & Nadar

C'est pour vous tous que sur mes doigts
La nuit je compte mes pieds

chantait Nougaro. Tous ceux qui ont commis des poèmes ont leur musique en tête qui permet de compter les syllabes, mais il faut bien passer par les doigts pour vérifier le nombre de pieds, comme un écolier besogneux sur un boulier.
La poésie n'est pas née au XIXème siècle, mais avec les premiers troubadours et trouvères dont on a perdu le nom dans la nuit des temps. Enfin, des poètes comme Clément Marot ont jeté les bases de la poésie.

Souvent, j'ai le regret de ne voir traiter que la poésie franco-française, comme si les nombreux auteurs francophones ou même non francophones qui ont écrit dans cette merveilleuse langue si propre à l'écriture et à la jonglerie poétique, n'existaient pas.

Comme si les femmes poètes ne possédaient pas le pouvoir d’inspirer des sentiments et des émotions nobles. Un peu comme les femmes peintres ou sculpteurs. On nous bassine avec la journée de la femme et on l’oublie dans nos manuels scolaires.
C’est pour ça que j’ai précédemment cité Louise Labé et Marceline Desbordes-Valmore plutôt que des poètes plus connus. J’aurais dû citer Alice de Chambrier (poétesse suisse romande morte trop tôt (21 ans) au 19ème siècle).


Alice de Chambrier


On nous vante la francophonie et que faisons-nous pour célébrer ceux qui sont venus enrichir la poésie d’expression française ?
Paris se gratte le ventre avec un air de suffisance accomplie : Montmartre et Montparnasse sont le nombril du monde, à en croire certains.
La poésie n'a pas démarré avec Victor Hugo et n'est pas morte avec Guillaume Apollinaire. Avec au beau milieu, Baudelaire, Paul Verlaine et Arthur Rimbaud.
Pas plus qu’elle ne s’arrête aux frontières de l’Hexagone, pas plus qu’elle ne pisse debout contre un mur.

Aurions-nous oublié tous les poètes suisses de la Renaissance, les poètes canadiens, sans omettre les Belges (Iwan Gilkin, Emile Verhaeren) et l’Autrichien Rainer Maria Rilke ?

Le Sonnet


Le sonnet est sans doute la forme la plus connue, de nos jours, en poésie. Baudelaire l’a utilisé plus que fréquemment dans Les fleurs du mal.

La définition du dico affirme qu'il s'agit d'un "poème de 14 vers, composé de 2 quatrains aux rimes embrassées, suivis de 2 tercets dont les 2 premières rimes sont identiques tandis que les 4 dernières sont embrassées ou croisées."

Dans le second post, nous avons vu ce que signifient quatrain et tercet.
Pourtant la réalité est moins mécanique, fort heureusement pour la poésie.

Le sonnet a été utilisé pour la première fois par Pétrarque et introduit en France par Clément Marot, à la Renaissance.

Généralement on appelle sonnet italien celui dont les dernière rimes sont embrassées (ABBA ABBA CCD EED) et sonnet français (ou marotique) celui dont les rimes sont entrelacées (ABBA ABBA CCD EDE).

Me souvenant de tes bontez divines
Suis en douleur, princesse, à ton absence ;
Et si languy quant suis en ta presence,
Voyant ce lys au milieu des espines.

Ô la doulceur des doulceurs femenines,
Ô cueur sans fiel, ô race d'excellence,
Ô traictement remply de violance,
Qui s'endurçist pres des choses benignes.

Si seras tu de la main soustenue
De l'eternel, comme sa cher tenue ;
Et tes nuysans auront honte et reproche.

Courage, dame, en l'air je voy la nue
Qui ça et là s'escarte et diminue,
Pour faire place au beau temps qui s'approche.

Clément Marot, A madame de Ferrare

Voilà un exemple de Sonnet dit français ou marotique (celui-ci va même jusqu’à utiliser dans les tercets les rimes CCD CCD). A vrai dire, Marot utilise les rimes embrassées et non entrelacées.



Clément Marot

Il existe le sonnet élisabéthain (utilisé par Shakespeare himself, si tant est que Shakespeare ne soit pas un pseudonyme utilisé par un noble anglais) : ABAB CDCD EFEF GG, donc composé de trois quatrains et d’un distique (strophe de deux vers).
Mais, comme Pétrarque, les poétes s'affranchissent parfois du carcan du système. Ainsi Baudelaire, dont Les Fleurs du Mal comportent bon nombre de sonnets, a écrit ce sonnet plus libre (AABB AABB CDD CDD, où CDD n'a rien à voir avec un contrat de travail, ça va de soi).
La fontaine de sang

Il me semble parfois que mon sang coule à flots,
Ainsi qu'une fontaine aux rythmiques sanglots.
Je l'entends bien qui coule avec long murmure,
Mais je me tâte en vain pour trouver la blessure.

A travers la cité, comme dans un champ clos,
Il s'en va, transformant les pavés en îlots,
Désaltérant la soif de chaque créature,
Et partout colorant en rouge la nature.

J'ai demandé souvent à des vins captieux
D'endormir pour un jour la terreur qui me mine ;
Le vin rend l'œil plus clair et l'oreille plus fine !

J'ai cherché dans l'amour un sommeil oublieux ;
Mais l'amour n'est pour moi qu'un matelas d'aiguilles
Faits pour donner à boire à ces cruelles filles !



Mais peu importe le type de sonnet ! C'est la poésie seule qui compte, et la musique ne doit pas succomber à la forme qui nous prive trop souvent du plaisir des rimes et de la puissance évocatrice du verbe.
La technique est un outil au service de l'émotion, et non le contraire. Trop d’enseignants nous ont torturés avec cette analyse froide du poème, faisant fuir sans doute ceux qui auraient pu apprécier le poème pour sa seule émotion.